Discontinuités territoriales au Royaume Uni à l’heure de la dévolution et du Brexit

Le Royaume-Uni, l’un des plus vieux États modernes du monde occidental, s’est formé à partir de quatre nations dominées par l’Angleterre. C’est au fil de l’Histoire que le Pays de Galles, l’Écosse puis l’Irlande ont été incorporés ou adjoints à l’Angleterre pour constituer le Royaume-Uni en 1801. Pourtant, l’union n’a jamais véritablement joui d’une stabilité durable, tant du point de vue politique que juridique. L’Irlande fut rapidement la source de conflits qui provoqueront la partition de l’île, seule l’Irlande du Nord étant maintenue au sein du Royaume-Uni depuis 1922. Quant à l’Écosse, elle a toujours connu des mouvements indépendantistes plus ou moins revendicatifs depuis la réunion des couronnes anglaise et écossaise sous Jacques Ier en 1606 et l’avènement de la Grande-Bretagne par les actes d’union de 1706-1707.

 

Les relations tumultueuses entre l’Angleterre et les nations celtiques auraient pu justifier le recours à une forme d’État décentralisée, voire fédérale. Tel n’a pas été le cas au profit d’un modèle particulier dans lequel la concentration des pouvoirs étatiques à Londres fut pondérée par la prise en charge de nombreuses prestations par les échelons locaux, tant par des structures de nature publique que par des institutions privées comme l’Église. Cette organisation originale connaît de multiples réformes depuis le deuxième tiers du XIXe siècle avec l’avènement de l’État-providence. C’est, toutefois, à la fin des années 1980 et au début des années 1990 que le gouvernement conservateur de Margaret Thatcher bouleverse l’architecture territoriale du Royaume-Uni. Suivant la dogmatique néo-libérale alors à la mode et poursuivant des objectifs politiciens, le parti conservateur voit dans les autorités locales un niveau d’administration dispendieux et invariablement dominé par les travaillistes. Par les Local Government Act de 1985 et de 1992, le lent déclin du gouvernement local s’accélère.

 

Le retour du parti travailliste en 1997 marque un tournant institutionnel. Maintes fois tenté, le processus de la dévolution de pouvoirs aux nations celtes finit par s’imposer à la suite de référendums locaux. Après l’échec de 1979, l’Écosse, ainsi que le Pays de Galles et l’Irlande du Nord bénéficient d’institutions nationales propres (un Parlement et un gouvernement). Principalement institutionnelle, la dévolution ne marque pas une rupture par rapport à la centralisation thatchérienne. Si des compétences sont bien transférées aux différentes autorités dévolues, l’attribution de moyens correspondants, notamment financiers, demeure limitée. Seule l’administration écossaise dispose de prérogatives équivalentes à une autorité décentralisée ou régionale bien qu’elle n’ait pas des marges de manœuvres budgétaires considérables. L’Irlande du Nord, par la spécificité de la situation politique, est presque ingouvernable, tandis que le Pays de Galles continue de dépendre assez largement de la politique londonienne.

 

Parallèlement à cette dévolution asymétrique, les autorités locales connaissent un certain renouveau sous le gouvernement de David Cameron qui a fait de la réalisation de la « big society » une finalité politique. Il s’agit, entre autres objectifs, d’assurer le développement des communautés locales réputées plus proches des citoyens. Il en a résulté le Localism Act de 2011 qui reconnaît une espèce de clause générale de compétence au profit des autorités locales (« A local authority has power to do anything that individuals generally may do », part 1, Chp. 1 de la loi). Elle promeut également le procédé du référendum local, étend l’élection directe de maires au suffrage universel à la tête de plusieurs agglomérations (qui avait été introduite par le Local Government Act de 2000), et transfère de nouvelles prérogatives aux organes locaux. Malgré la volonté affichée par le Gouvernement de l’époque d’une plus grande décentralisation, le Royaume-Uni peine à y parvenir. La centralisation des pouvoirs, tout particulièrement fiscaux, caractérise encore assez largement l’organisation administrative du Royaume-Uni.

 

Le but de la recherche sera de revenir sur le constat d’une discontinuité politique, juridique, économique, sociale, voire culturelle, entre les quatre nations composant le Royaume-Uni qui coexiste depuis plusieurs siècles avec une forte centralisation administrative au profit de Londres. Cette cohabitation paradoxale favorise, selon les époques, autant les tendances centripètes que centrifuges. Depuis le début des années 2010, cependant, deux événements témoignent d’un rejet de plus en plus catégorique de la domination anglaise : l’expansion des nationalismes et le Brexit. Le premier phénomène n’est guère surprenant au regard de l’Histoire des relations entre les nations britanniques. Le second, bien qu’il ait aussi des réminiscences historiques, fut bien plus soudain. Le retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne a eu pour conséquence de creuser le fossé entre l’Écosse et l’Irlande du Nord favorables à l’Union européenne, d’une part, et l’Angleterre et le Pays de Galles qui ont voté pour le Brexit, d’autre part. Les réponses juridiques apportées par le Gouvernement depuis les années 2010 à la discontinuité territoriale ne suffisent manifestement pas à réconcilier les parties constituantes du Royaume-Uni. Elles peinent toujours à se réunir sous le concept de « britannicité » qui fait l’objet de vives discussions entre intellectuels. Le Royaume-Uni qui est un État unitaire qui a su au fil des siècles assumer sa discontinuité est plus que jamais exposé au risque d’éclatement.

Aurélien ANTOINE

Professeur de Droit public

Université Jean-Monnet Saint-Étienne/Université de Lyon

 

Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search